Quelques balises pour définir une laïcité québécoise1
Par Élisabeth Garant, directrice du Centre justice et foi
Il n’existe pas un modèle unique de laïcité qui pourrait s’appliquer à toutes les sociétés et dont nous n’aurions qu’à suivre la recette pour le Québec. Il existe de nombreux aménagements inspirés des trajectoires différentes des pays. La laïcité est un processus qui se précise au cœur des débats de société et à la lumière des transformations sociales. Pour définir le contenu d’une laïcité québécoise, nous avons besoin de quelques balises : celle du parcours sociohistorique du Québec, celle de clarifier la portée de nos débats, celle de l’inclusion et de la non-discrimination comme fondements du vivre-ensemble, celle de la reconnaissance d’une dimension publique de la religion.
Rendre explicite la laïcité au Québec : un processus récent
Nous vivons dans un contexte social où se côtoient des orientations idéologiques, religieuses, culturelles et politiques diverses. Nous sommes de plus en plus confrontés à la portée du choix, fait avec la Révolution tranquille et affirmé dans la Charte québécoise des droits de la personne, de tenir compte effectivement de la liberté de conscience pour toutes les personnes vivant au Québec.
La volonté de laïciser les institutions communes est donc née d’un souci de prise en compte de ce pluralisme constitutif de notre société – et non pas uniquement pour répondre à la diversité religieuse et culturelle de l’immigration. C’est ce défi qui a été relevé pour l’école québécoise dont les structures étaient confessionnelles jusqu’en 2000. C’est d’ailleurs dans le contexte du processus de déconfessionnalisation scolaire que nous avons commencé à utiliser le terme « laïcité » et à débattre du modèle que nous voulions. La perspective d’une « laïcité ouverte » pour l’école québécoise a alors été l’option retenue. Elle exprimait une volonté de ne pas occulter la dimension religieuse (individuelle et collective) tout en l’abordant dans le respect de la diversité croyante et non-croyante de notre société.
La portée de la laïcité à préciser
Dans les débats sur la laïcité, les préoccupations exprimées touchent plus particulièrement trois questions : l’égalité homme-femme, l’intégration des immigrants et le projet national (ou l’identité nationale). Il y a des éléments de chacune de ces questions dont notre modèle de laïcité doit tenir compte puisque l’une des deux principales finalités de la laïcité est l’égalité des citoyens qui doit aussi être la base de notre vie en société.
Dans nos efforts pour définir les contours de la laïcité, il faut donc se demander quelles en seront les conséquences sur les personnes les plus vulnérables de la société et sur notre capacité à réaliser une société inclusive. Il ne faut pas laisser certains raccourcis populistes ou certaines de nos peurs en imposer les orientations.
Mais nous devons aussi réaliser que nos débats soulèvent des questions qui débordent la seule définition d’une laïcité. Cette dernière n’est pas une garantie de l’égalité homme/femme qui est avant tout le gain d’une lutte sociale constante. Elle ne peut pas non plus se substituer à une politique d’immigration et d’intégration permettant aux nouveaux arrivants et aux membres de la société d’accueil de transmettre un héritage et d’accueillir de nouveaux apports. Elle ne peut pas non plus être le garant d’un projet national dont nous constatons tous l’effritement mais dont les causes sont surtout à chercher du côté du modèle économique privilégié depuis les années 90, le néolibéralisme qui met à mal tous les liens sociaux.
La religion confinée à la sphère privée?
La question de la place de la religion est centrale dans le débat en cours. La laïcité est l’expression d’une séparation entre les institutions religieuses et l’État. Mais cette séparation est au service d’une deuxième finalité qui est la liberté de conscience. Elle n’exclut pas une reconnaissance de la diversité religieuse mais s’oppose à ce qu’une religion soit privilégiée au détriment des autres.
Il n’y a donc pas lieu de céder à certains courants antireligieux qui voudraient faire disparaître toute référence au vécu religieux des citoyens dans l’espace public. Mais en contrepartie, il faut que les traditions religieuses acceptent de dialoguer entre elles et avec les non-croyants afin d’inscrire leur présence dans la recherche du bien commun. Une décision qui appartient au politique La laïcité doit être précisée au cœur du champ politique -plutôt que du champ juridique- par des débats collectifs, le développement d’instruments politiques adéquats et des décisions de l’Assemblée nationale. Il est temps que le gouvernement mette au jeu un livre blanc ou un projet de politique à partir duquel les débats que nous avons amorcés depuis quelques années puissent se poursuivre. Il faut espérer que cette politique aura comme base une laïcité qui s’inscrive dans une histoire et une trajectoire sociale propre au Québec mais qui vise tout autant le renforcement d’une société juste et égalitaire pour aujourd’hui.
1 Ce texte s’inspire de la réflexion réalisée au Centre justice et foi lors de la Journée d’étude du 28 janvier 2012, La laïcité au Québec : enjeux et angles morts du débat. Les Actes de cette Journée d’étude sont disponibles dans le bulletin Vivre ensemble (vol. 19, no. 65, printemps 2012) au http://www.cjf.qc.ca/ve.
Ce texte a été publié dans Nouvelle Revue franciscaine, volume 117, numéro 5, pp. 8-9. On le trouve aussi au http://www.cjf.qc.ca/userfiles/file/Accueil_CJF/Octobre2012/Texte_Nouvelles-fransciscaines_EG_Sept-Oct-2012_corr.pdf.
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