Si la souffrance vous fait mal, lisez le numéro de mars 2012 de la revue québécoise RELATIONS.
Si la souffrance des autres ne vous fait pas mal, lisez le numéro de mars 2012 de la revue RELATIONS. Il n’est peut-être pas trop tard. Bonne chance !
Le Passeur de la Côte
À notre époque, de plus en plus de gens souffrent d’un système socio-économique et d’une idéologie managériale fondés sur des contraintes de performance déshumanisantes. Comment entendre la voix de ceux qui souffrent dans un monde où l’on tend à « médicaliser l’existence »? La souffrance peut-elle avoir un sens? Et que dire de celle engendrée par la violence vécue par les peuples du Sud, victimes de ce même système inégalitaire? Dans ce dossier, nous nous pencherons aussi sur la souffrance en tant que condition inhérente à l’expérience humaine, sur laquelle le christianisme a jeté un regard particulier. (source : revue Relations, mars 2012, http://www.cjf.qc.ca/fr/relations/)
SOUFFRANCES
Par Jean-Claude Ravet
« Tenir debout, dans l’ombre
de la cicatrice en l’air.
Tenir-debout-pour-personne-et-pour-rien.
Non-reconnu,
pour toi
seul.
Avec tout ce qui a ici d’espace,
et même sans
parole. »
Paul Celan
Le terme « souffrance » recoupe tant d’expériences qu’on ne peut faire autrement que tracer la frontière entre ce qui est inéluctable et ce qui est intolérable, entre ce qu’il faut pleinement assumer comme partie intégrante de la condition humaine, ce qu’il faut soulager parce qu’empêchement de vivre et ce contre quoi il faut résolument se rebeller étant la forme du mal, du malheur, de l’injustice, de la domination – de l’inhumanité.
C’est d’autant plus nécessaire que, dans une société comme la nôtre où tout tend à être jugé à l’aune de la rentabilité et de l’efficacité, toute souffrance apparaît de plus en plus comme un écueil, une entrave au bon fonctionnement du système économique, ou encore comme une tare dans un monde passé, à dépasser, à traiter avec des moyens techniques. Or, à « fonctionner » plutôt qu’à être, nous ne pouvons que préparer le terrain à bien… des souffrances, nous enfonçant toujours plus dans un terrible mal-être, sirène d’alarme signalant que le chemin emprunté nous écarte de notre humanité. Saurons-nous, un jour, lui répondre par une juste colère en renonçant à le traiter avec des analgésiques – médicaux ou sociaux comme le divertissement, la consommation, etc. – et opposer à la fuite en avant actuelle une action politique collective entamant une transformation radicale de notre manière de vivre? Porter attention à la souffrance vécue dans notre monde actuel est certainement un pas dans cette direction.
L’étymologie du mot « souffrance » porte le caractère paradoxal de l’expérience humaine qu’elle évoque. Elle renvoie à endurance. Souffrir, endurer, ce n’est pas se résigner, encore moins abdiquer. C’est persister dans l’existence malgré la douleur. Autant nous appréhendons la souffrance, autant elle se présente à nous comme la compagne inséparable de ce qui nous est le plus cher. Comme si l’amour, le bien, la bonté, la liberté, la justice et même l’art, devaient un jour ou l’autre passer par elle pour s’accomplir. Signe d’un manque, d’un ailleurs fondamental, où se joue l’existence. N’est-ce pas grâce à cette fragilité de l’existence, où se lovent tant de souffrances et d’angoisses, que nous sommes à même d’éprouver la merveille de la vie et la beauté du monde? Comment aimer sans risquer de souffrir? Comment lutter contre l’injustice, endiguer la violence, s’opposer à la domination sans accuser des coups, subir la répression? Mais alors souffrir se métamorphose en souffrir avec… souffrir pour… Une souffrance toute autre, puisque l’insensé devient injecté de sens.
La souffrance comme telle, en effet, est non-sens. Elle peut écraser, ronger l’âme et le corps. Elle peut même devenir le ressort d’autres souffrances pires encore, infligées à soi ou aux autres. Elle peut fabriquer des monstres insensibles à la souffrance des autres. Combien d’écorchés deviennent à leur tour des tortionnaires? Peut-on, d’ailleurs, vraiment faire souffrir sans avoir souffert?
Tous nous portons des cicatrices, certaines encore vives ou simplement endormies – un frôlement suffit à réveiller la douleur et à nous plonger aussitôt dans ses griffes acérées et son étreinte étouffante. Quelques-uns plus que d’autres. Pensons aux personnes qui souffrent de certaines maladies, de viol, de la perte d’un enfant, de la torture, de la misère, de l’exclusion. Souffrances existentielles, corporelles, psychiques ou politiques, proches ou lointaines, silencieuses ou épanchées. Dans tous les cas, cette épreuve s’apparente à un arrêt du temps. À une perte de repères et de mémoire. Plus rien ne semble exister que cette douleur qui pèse et nous entraîne avec elle dans un gouffre. Alors le monde tend à se défaire. À se vider. Celui qui souffre se sent seul, terriblement seul. Jusqu’à la parole qui s’assèche. Ne reste plus qu’un râle, puis le silence atroce de celui qui est emmuré vivant dans la détresse.
Or, être capable de raconter sa souffrance, fût-ce par bribes, c’est déjà s’en libérer un peu, refaire son monde, contrer son émiettement. Reprendre pied dans l’abîme. La solidarité est aussi essentielle pour ranimer la présence, soutenir l’espérance, donner prise à la parole. Ne plus être que souffrance.
Car toute blessure peut devenir ouverture; toute fêlure, seuil. De la vulnérabilité, du dénuement peut émerger un monde essentiel – passé inaperçu dans l’affairement utilitaire – où les liens, la solidarité, le partage, la gratuité, le dépouillement, le don sont à demeure.
Même dans l’enfer de la désolation, un sursaut de vie inouï peut subvenir. Comme ce « Je… pro… teste », entendu in extremis dans un amoncellement de corps décharnés à Buchenwald, prêts à être jetés dans un four crématoire (Imre Kertesz, Être sans destin). Partout où la déshumanisation se déchaîne surgit cette voix immémoriale de Job contre le destin. Qui ose l’entendre, comme celui ou celle en qui elle monte, renonce à jamais à l’innocence, prend à bras-le-corps la responsabilité d’exister dans un monde où le fumier peut devenir la demeure de l’humain et affronte, dans un combat à mort, l’absurde et le mal.
Toute souffrance est, au fond, un appel à l’aide. Une plainte réveillant notre responsabilité à l’égard d’autrui. C’est l’espérance, au cœur du désespoir, que se tient tout près du souffrant – fût-il écrasé, avili, abandonné à sa terrible solitude – quelqu’un capable de l’aider à panser sa plaie et, s’il le faut, à se tenir debout, à résister et à riposter. Nous ne sommes jamais seuls. L’absence de réponse restera toujours un scandale : la possibilité de l’humain d’être inhumain, en se fermant à la souffrance de l’autre… et de soi.
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UN 8 MARS ENTRE RAGE ET ESPOIR
Par Catherine Caron
En janvier dernier, au Forum économique mondial (FEM) de Davos, au temple de la « corpocratie », les élites économiques et politiques ont fait mine de se rendre compte que les inégalités croissantes étaient un grave danger pour l’humanité. Elles ont feint d’ignorer que de vastes mouvements sociaux – régulièrement réprimés par leurs polices – leur assènent cet avertissement depuis des décennies et leur fournissent d’excellentes solutions pour y remédier.
Il fallait entendre le fondateur et président du FEM, Klaus Schwab, s’interroger sur la perte du sens moral dans notre monde avec l’archevêque anglican sud-africain et Prix Nobel de la paix, Desmond Tutu. Et s’enquérir auprès de lui des moyens pratiques à privilégier pour bâtir une société plus juste. Oui, surtout, soyons pragmatiques, insistait-il l’air de dire qu’après tout, les vrais leaders ne sont pas aveuglés par de vilaines idéologies… La scène était aussi surréaliste que révoltante, alors que nous assistons depuis des mois à un vaste exercice d’hypocrisie et d’inertie destiné à protéger une classe dominante repue de bonus extravagants et de biens publics spoliés à la faveur de la crise.
Desmond Tutu a bien parlé de l’impasse qui guette un monde gangrené par la cupidité, l’injustice et l’immoralité. Il a lancé un appel pour une révolution menée par les femmes et la fin de l’exclusion de la moitié du genre humain des lieux de pouvoir et des processus décisionnels. Cet appel résonne encore en ce mois marqué par la Journée internationale des femmes. Mais dans un tel lieu, il n’a suscité que des applaudissements anémiques. Les murs du temple n’ont guère vibré. Brûlant, il s’est figé au contact de l’air aseptisé et privatisé de Davos, trop loin du tumulte de la rue où les femmes ne mènent peut-être pas mais participent pleinement aux luttes pour la liberté, l’égalité, la démocratie, la justice sociale. Elles le font au risque d’être celle qui, Place Tahrir en Égypte, a fini à la une des médias du monde entier, à moitié dévêtue, inconsciente, frappée presque à mort, avec à ses côtés anéantie aussi, celle qui aura courageusement cherché à la secourir.
Cette répression ciblée et sauvage des femmes sévit dans plusieurs pays actuellement. Si les pouvoirs médiatiques ont laissé l’image de cette brutalité ébranler nos écrans, nos consciences, combien d’autres images de violence faite aux femmes restent, elles, immontrées, inexistantes? A-t-on la moindre image en tête des centaines de femmes autochtones qui, au Canada, sont assassinées dans l’indifférence? Une indifférence que viendra secouer, espérons-le et grâce à la mobilisation des femmes, l’enquête d’un comité des Nations unies.
Ainsi, il semble que le 8 mars de cette année se vit entre rage et espoir pour toutes les femmes qui sont « au front ». Le front du quotidien, comme le dit si bien Ivone Gebara dans ce numéro, soit celui de l’avenir rendu possible « seulement si la vie est maintenue au présent ». Le front du politique. Le front de l’âme, de l’intime aussi, où elles révolutionnent mille fois à l’intérieur d’elles-mêmes l’art de transformer en force le chagrin des deuils et le chagrin des dénis et des trahisons subis quant à leurs droits.
Ici même, au Québec, les femmes sont inquiètes et mobilisées devant les conséquences économiques bien concrètes de la crise et les politiques rétrogrades qui affectent leur vie et d’importants acquis. Dans ce contexte, le processus des États généraux de l’action et de l’analyse féministe, lancé par la Fédération des femmes du Québec, est judicieux. Souhaitons entre autres qu’il fasse une belle place aux femmes immigrées et réfugiées, en particulier celles qui ne parlent pas ou peu le français et dont l’intégration à la société québécoise est bloquée par un grave manque d’accès aux ressources en garderie, en francisation et en emploi. Libres dans une société riche, nous leur devons notre solidarité active pour changer les choses. Comme nous devons aux femmes du « printemps arabe » de ne pas jouer les donneurs de leçon et de ne pas laisser nos gouvernements se taire lorsqu’elles sont exclues ou brimées par les processus ou les réformes en cours.
Le silence et les contradictions du gouvernement Harper à cet égard sont manifestes. À l’heure où il fait reculer les droits des femmes ici même au Canada, il se targue de se battre pour leurs droits ailleurs. Nul doute qu’il fera avancer bien davantage les droits des entreprises – en menant des négociations commerciales avec le Maroc, par exemple, alors que la répression y discrédite chaque jour les promesses de réforme – et une attitude guerrière étrangère aux rêves et aux aspirations des femmes.
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Relations remporte un Prix de la SODEP pour «La force de l’indignation»
Communiqué de presse de la revue Relations
Au moment de la parution de son nouveau numéro consacré à la démocratie, la revue Relationsremporte le Prix du journalisme culturel de la Société de développement des périodiques culturels (SODEP), dans la catégorie meilleur dossier ou reportage, avec «La force de l’indignation», paru en mars 2011.
Amélie Descheneau-Guay et Catherine Caron représentaient la revue à la soirée organisée au Lion d’Or à Montréal, le 5 avril, dans le cadre du Printemps des revues, en compagnie de l’écrivaine Suzanne Jacob. L’équipe de Relations est d’autant plus heureuse de recevoir ce prix qu’il s’agit là de son numéro 70e anniversaire, dont le tirage est épuisé. Il témoigne bien du fait qu’à 70 ans, Relations a toujours cet ancrage dans la réalité sociale et culturelle de notre temps qui lui a fait sentir la nécessité d’aborder le thème de l’indignation, choisi à l’automne 2009, avant la vague d’indignation qui déferle sur notre monde depuis.
L’équipe de Relations remercie les membres du jury et les collaborateurs de ce dossier : Sarita Ahooja, Catherine Caron, Amélie Descheneau-Guay, Bernard Émond, Mouloud Idir, Vivian Labrie, Hugo Latulippe, Jean-François Lessard, André Myre, Sylvie Paquerot, Pol Pelletier, Jean-Claude Ravet, Aminata Traoré ainsi que l’artiste invité Lino, la directrice artistique Mathilde Hébert, le correcteur Éric Massé et son comité de rédaction. Relations félicite aussi les autres finalistes : les revues Ciel variable, Nuit blanche et ETC.
L’indignation dont il est question ici n’a rien d’une mode superficielle. Elle est, comme l’écrivait Jean-Claude Ravet, « une force tellurique qui ébranle et fissure le train-train quotidien et nous place au cœur du combat de la vie devenue conscience et solidarité ». Elle se retrouve bien palpable au coeur du numéro de Relations qui sort en kiosques le 13 avril et qui s’intitule « Notre démocratie : fiction ou réalité? ».Au sommaire :
Notre démocratie : fiction ou réalité? Catherine Caron
L’emprise de la démocratie-marché au Québec Maxime Ouellet
Gouvernance vs démocratie Jean-Claude Ravet
Les périls de la révolution conservatrice Christian Nadeau
Vers des pratiques émancipatrices Martin Breaugh
Renouveler la culture politique Diane Lamoureux
L’éducation citoyenne à l’école Jacques Racine
Le corset canadien Amélie Descheneau-Guay
Artiste invité : Christian Tiffet
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